Dix jours de méditation en silence

Publié le 27 novembre 2024

#expériences #Asie du sud #bien-être

Sans aucune expérience en matière de méditation, nous nous sommes lancés dans une retraite de dix jours intensifs dans un centre de méditation Vipassana à Katmandou... et c'était une sacrée expérience ! On vous raconte 🧘‍♀️🧘‍♂️

La méditation Vipassana, une méthode ancestrale

Pendant un peu plus de dix jours nous avons été initié à la pratique de la méditation Vipassana. Cet enseignement a été mis en place par S. N. Goenka en Inde dans les années 70 puis fortement démocratisé pendant les décennies suivantes jusqu'à être aujourd'hui dispensé dans 380 centres (dont 241 permanents) répartis dans plus de 90 pays.

Tous les ans, environ 120 000 personnes dans le monde assistent aux cours dispensés par 1350 enseignants formés par Goenka. L'enseignement est strictement le même, partout dans le monde, et ce depuis le début des années 90 lorsque Goenka a fait enregistrer ses propres cours en audio et en vidéo. Ce sont ces enregistrement qui nous ont servis de "guide" lors des séances de méditation en groupe.

"L'homme qui a appris au monde à méditer", comme on le surnomme, soutient que la méthode Vipassana est demeurée inchangée depuis sa théorisation par le premier Bouddha lui-même au Ve siècle avant notre ère. Elle a été, d'après ses dires, conservée intacte pendant 25 siècles par une poignée d'initiés dans une région de l'actuelle Birmanie jusqu'à ce qu'il commence son enseignement en Inde, puis partout dans le monde.

La méthode Vipassana est présentée comme permettant de se délester de nos "impuretés mentales" (sankaras) et de cultiver un esprit pur, ce qui, ultimement, est censé mener à la libération de toutes nos souffrances psychiques. On vous rassure tout de suite (ou pas d'ailleurs) : aucun de nous deux ni des 160 étudiants qui étaient avec nous ne s'est totalement purifié l'esprit en dix jours 😅

Cette méthode est considérée comme non-sectaire, c'est-à-dire qu'il n'est nécessaire d'adhérer à aucune croyance pour suivre son enseignement. On pourrait même la qualifier de "scientifique expérimentale" car il nous est constamment répété de ne croire sur parole aucun enseignement théorique, mais plutôt de constater par nous-même les bienfaits de la méthode en s'y essayant de manière sérieuse et volontaire. Il y a même plusieurs publications scientifiques qui ont pour objet d'étude la pratique de la méditation Vipassana !

Dix jours de méditation en silence, c'est possible !

Pendant ces dix jours, on est plongé dans une atmosphère très studieuse où tout est fait pour que les étudiants puissent se concentrer sur l'apprentissage et la pratique des méthodes de méditation enseignées. Les hommes et les femmes sont complètement séparés et tout le monde travaille en "isolement".

Pour ce faire, un des principes essentiels que tous les étudiants doivent respecter pendant la quasi-totalité du stage est le "noble silence". Il ne s'agit pas simplement d'éviter de parler avec son voisin/sa voisine pendant les temps réservés à la méditation. Non, ce serait trop simple.

Le "noble silence", c'est l'absence totale de communication, quelle qu'en soit la forme, avec les autres étudiants, à toutes heures du jour et de la nuit. Il est strictement interdit de parler, de faire des gestes, d'écrire, de se regarder dans les yeux... Bref, il faut éviter toute forme de possible dialogue entre les étudiants afin de cultiver la sensation de travailler en complet isolement. C'est une vraie vie monacale pendant dix jours !

Bien entendu, il est toujours possible de poser des questions en rapport avec les techniques de méditation aux professeurs et de s'adresser aux bénévoles qui assurent la logistique en cas de besoin. Mais même ces échanges doivent être réduits au strict minimum.

Bon, ce principe n'empêche pas les bruits corporels en tous genres qui surviennent inévitablement pendant les séances de méditation en groupe, mais de manière générale il est vraiment rigoureusement suivi par tout le monde. L'atmosphère est très sérieuse et très studieuse !

Pendant les temps de repos, il est également interdit de pratiquer une activité physique autre que la promenade dans le jardin. La lecture, la musique et l'écriture sont aussi prohibées. On ne doit pas se laisser distraire de notre retraite intérieure.

Heureusement les promenades étaient très agréables 🌺

Heureusement les promenades étaient très agréables 🌺

Nous avons pu constater les bénéfices de ce dispositif pour notre apprentissage de la méditation. Le fait de se retrouver seul face à soi-même, à ses pensées, à ses émotions et à ses doutes peut être très difficile, mais cela permet d'atteindre des niveaux de concentration beaucoup plus élevés et de réussir plus facilement à appliquer les consignes données.

Comment ça se passe concrètement ?

Toute la logistique est gérée par une équipe de bénévoles qui sont des anciens étudiants Vipassana "en service". Les professeurs sont également tous bénévoles. Il n'y a d'ailleurs aucune contrepartie financière demandée pour participer au stage, pas même pour amortir le coût du logis et des repas. Si on le souhaite, lors du dernier jour (donc uniquement pour les étudiants ayant complété le stage), on peut faire un don à l'association pour permettre à de futurs étudiants de bénéficier de cet enseignement dans un cadre idéal.

À part pour le tout premier jour (celui de l'accueil des participants) et le 10e jour, le planning est toujours le même et scrupuleusement suivi, toutes les périodes étant rythmées par le son de la cloche du centre.

  • 4h : Réveil au son de la cloche (Chloé n'était pas sereine au début mais finalement ça s'est très bien passé, il n'y a eu aucune panne de réveil 👌)
  • 4h30-6h30 : Méditation dans le Hall
  • 6h30-8h : Pause petit déjeuner et repos (beaucoup retournaient se coucher une petite heure à ce moment-là)
  • 8h-9h : Méditation guidée dans le Hall
  • 9h-11h : Méditation dans le Hall ou dans sa chambre
  • 11h-12h : Pause déjeuner
  • 12h-13h : Repos et rencontres individuelles avec les enseignants (on faisait souvent des balades dans le jardin ou une sieste)
  • 13h-14h30 : Méditation dans le Hall ou dans sa chambre
  • 14h30-15h30 : Méditation guidée dans le Hall
  • 15h30-17h : Méditation dans le Hall ou dans sa chambre (4 heures de méditation presque non-stop, c'était clairement le moment de la journée le plus difficile 😱)
  • 17h-18h : Pause goûter
  • 18h-19h : Méditation guidée dans le Hall
  • 19h-20h15 : Cours magistral vidéo de Goenka sur les techniques de méditation (très rassurant, dans le sens où beaucoup de nos questionnements trouvaient une réponse à ce moment-là)
  • 20h15-21h : Méditation guidée dans le Hall
  • 21h-21h30 : Temps de questions individuelles aux professeurs
  • 21h30 : Extinction des feux
La fameuse cloche qui rythme les journées 🔔

La fameuse cloche qui rythme les journées 🔔

Le rythme est vraiment très différent de ce à quoi nous sommes habitué, mais on prend quand-même vite le pli. Le fait de pouvoir parler avec nos camarades le jour de l'accueil a permis à tout le monde de démarrer sereinement le stage. De plus, le "noble silence" est rompu le matin du 10e jour pour nous permettre d'échanger entre nous sur nos ressentis et nos découvertes personnelles. C'est aussi un moyen de retourner progressivement à la vie "normale", comme un sas de décompression après une expérience intense.

L'enseignement était également très progressif, avec nos dix jours soigneusement découpés en différentes phases d'apprentissage.

Sila - Moralité

Le sila, ou "bonne conduite morale", est le socle sur lequel viennent s'empiler tous les principes suivants. Comme le but est de déraciner les sankaras ("impuretés de l'esprit") qui sont présents en nous, une bonne conduite morale facilite le travail par la suite.

Pendant toute la durée du stage, il faut donc respecter scrupuleusement les cinq préceptes qui constituent cette base morale :

  • Ne pas tuer
  • Ne pas voler
  • S'abstenir de toute activité sexuelle
  • Ne pas dire de mensonges
  • Ne consommer aucune forme de drogue

Ce n'est pas un hasard si vous reconnaissez ici des préceptes de telle ou telle religion. Toujours selon Goenka, le sila enseigné au travers de la méthode Vipassana est universel car dénué de toute attache à un dieu, une déesse, une idole, une personne... Ainsi, les préceptes similaires que l'on peut trouver dans telle ou telle religion sont en fait issus du sila bouddhiste, agrémentés de telle ou telle sauce religieuse spécifique.

Cela a peut-être du sens d'un point de vue historique, mais nous ne sommes pas du tout qualifié pour en débattre sérieusement. Nous ne faisons ici que retranscrire les dires de Goenka.

Samadhi - Maîtrise de son esprit

Une fois le sila accepté par les étudiants (c'est de toute façon un "pré-requis" pour participer au stage), on commence par nous enseigner une technique de méditation ayant pour but de concentrer notre esprit. C'est l'apprentissage du samadhi, ou la "maîtrise de son esprit".

Concrètement, il faut rester concentré sur sa respiration naturelle en l'observant objectivement (sans jugement) et en essayant de capter les sensations autour des narines par lesquelles transitent les flux d'air (chaleur, froid, picotements, démangeaisons, pulsation, pression, tension...). Durant les trois premiers jours, on affine la technique en réduisant progressivement la zone à "observer" en partant d'une zone couvrant le nez jusqu'à la lèvre supérieure, à la seule zone entre les narines et la lèvre supérieure.

L'objectif de cette technique est double. D'une part, on s'exerce à rester concentré pendant longtemps sur un phénomène corporel précis (la respiration naturelle par le nez). D'autre part, on augmente petit à petit l'acuité de son esprit afin de percevoir sur les zones observées des sensations de plus en plus fines et volatiles.

Il faut bien retenir que cette observation doit se faire de manière totalement objective : il ne faut pas chercher à contrôler sa respiration ni chercher des sensations en particulier. Et, surtout, il faut rester équanime face aux sensations qu'on observe. Ne pas juger, juste observer.

Panna - Purification de l'esprit

C'est à partir du 4e jour que la technique de méditation Vipassana a commencé à nous être enseignée. Après avoir appris à observer notre respiration et les sensations sur une zone très restreinte du corps, on passe maintenant à une analyse de l'ensemble du corps, étape par étape :

  • d'abord en observant zone du corps après zone du corps, de haut en bas, en restant focalisé sur chacune d'elle quelques minutes jusqu'à percevoir une sensation ;
  • ensuite en effectuant cette même observation dans les deux sens, du haut vers le bas puis du bas vers le haut ;
  • et enfin en "scannant" le corps tout entier, c'est-à-dire en le parcourant, toujours dans les deux sens, à la recherche de sensations, mais en essayant de les ressentir sur plusieurs zones en même temps.

L'objectif est toujours d'observer ses sensations sans les analyser, les juger ou en espérer/craindre certaines. On apprend également, et c'est un élément essentiel de la méthode, que toutes ces sensations sont vouées à disparaître. Cette loi universelle de la nature, "cela aussi passera", nous devons l'accepter et l'appliquer à ce que nous avons de plus personnel : nos sensations.

Car, ce que l'on ressent à un moment donné peut être remplacé par autre chose ou simplement disparaître la seconde d'après. Une bouffée de chaleur, un léger picotement, le nez qui gratte, une démangeaison, une vive douleur, un élancement persistant... Cela aussi passera. On apprend à accepter ce qui se passe au moment présent sans chercher à y accrocher une émotion, positive ou négative, car c'est source de souffrance que de craindre ou avoir trop envie d'une sensation en particulier qui, de toute façon, est amenée à changer, évoluer, ou disparaître.

C'est ainsi que l'on commence véritablement à travailler le panna, la "purification de l'esprit". En évitant de générer de nouveaux sankaras à partir de nos sensations, on arrête de "multiplier nos souffrances" (expression employée par Goenka) et on commence progressivement à faire sortir les anciens sankaras profondément enfouis en nous. Le but ultime étant de s'en débarrasser complètement afin de totalement "purifier" son esprit.

Strong determination - On ne bouge plus !

En parallèle du panna, nous avons également appris à renforcer notre détermination, que ce soit pour maintenir notre concentration ou... notre position.

En effet, les pauvres petits occidentaux que nous sommes ne sont pas du tout habitués à tenir une position assise en tailleur pendant plusieurs heures. Nous vous laissons imaginer les douleurs aux muscles des jambes, aux articulations des genoux et des hanches, ainsi que dans le dos au bout d'une journée à peine... 😰 (RIP les genoux de Thibault). Mais cela fait également partie du processus, car comme toute sensation, la douleur finira par passer. Elle est là à un moment donné, et c'est à nous de l'accepter, puis de continuer à balayer notre corps en observant ce qu'il s'y passe d'autre.

Heureusement qu'il y avait des coussins à disposition !

Heureusement qu'il y avait des coussins à disposition !

Mais ce n'est pas tout, car les techniques de méditation enseignées requièrent un haut niveau de concentration sur de longues périodes de temps. Vous vous dites sûrement que vous arrivez à vous concentrer sans trop de problème pendant plusieurs heures quand vous travaillez, alors que peut-il y avoir de compliqué quand on est juste assis pendant cette même durée ? Et bien, justement, on est juste assis, sans bouger, sans avoir quelque chose dans les mains. Et, croyez-nous, notre esprit a envie de tout faire sauf rester à se concentrer sur une simple chose pendant des heures. C'est bien simple, nous n'avons jamais pu dépasser 50% du temps de méditation pleinement concentré sur la totalité des dix jours du stage 🙃

Mais cela fait aussi partie de la formation. Le cerveau humain est ainsi fait, et nos sociétés de l'immédiateté n'arrange pas les choses. Il faut l'accepter sans jugement et essayer de faire mieux la fois suivante.

Free flow - Le stade ultime

Pendant les deux derniers jours, nous avons travaillé à ressentir des sensations dans le plus de parties du corps possible en même temps afin d'expérimenter le "free flow", une sorte de flux de sensations très subtiles que l'on ressent sur toute ou partie de la surface du corps à un moment donné (et même à l'intérieur du corps quand on gagne en sensibilité).

C'est difficile de décrire plus exactement ce que c'est, parce que l'expérience de la méditation est personnelle et que chacun ressent les choses différemment. On peut ressentir le "free flow" au bout du 7e comme du 10e jour... voire pas du tout. De notre côté, nous avons chacun pu le sentir une seule fois au cours du stage, et de façon complètement différente.

Expérimenter ce "free flow" permet de faire ressortir plus facilement les anciens sankaras profondément ancrées en nous, accélérant le processus de "purification de l'esprit".

Et après ?

Sommes-nous devenus les maîtres Yoda du Vipassana après ce stage ? Pas vraiment 😁

Dix jours, c'est le minimum pour apprendre les techniques et éventuellement commencer à en ressentir les premiers effets, mais nous avons toujours du mal à rester suffisamment concentrés et à maintenir notre position suffisamment longtemps pour être très efficace. Cependant, nous avons appris au moins une chose, c'est que rien n'est définitif, tout est changeant. Notre capacité à nous concentrer peut être fluctuante, c'est OK, il faut l'accepter et rester déterminé. En dédramatisant ces "échecs" nous arrivons même à être plus sereins face aux aléas de la vie en général.

Nous avons tous les deux ressenti une amorce de changement dans notre façon de réagir à différents événements, comme si les émotions trop fortes s'étaient "calmées". Pendant le stage, nous avons pu ressentir de la colère et de la frustration, mais ces émotions se sont dissipées au fur et à mesure des heures de méditation. Le fait de se recentrer sur le moment présent a été très bénéfique dans leur gestion 🙂 (ce n'est pas l'objectif final mais c'est déjà pas mal).

La pratique de la méditation reste difficile, et les bénéfices que nous en avons retirés ne sont pas acquis pour de bon. À la fin du stage, il nous a été très fortement conseillé de continuer à méditer à raison d'une heure le matin et le soir pour continuer à profiter des bénéfices de la méthode.

Bon, on ne va pas vous le cacher, ces recommandations nous ont parues assez difficiles à mettre en place. Deux heures dans une journée, ce n'est pas rien. Mais, ayant constaté par nous-même les bénéfices de cette formation, ça aurait été dommage de s'arrêter là. Nous avons donc coupé la poire en deux : 30 minutes le matin et 30 minutes le soir.

On espère avoir la "strong determination" nécessaire pour tenir le rythme pendant notre voyage, et surtout quand on sera rentré !